Pour expliquer les deux perspectives – celle de l’Ayurveda sur l’ordre de consommation des aliments et celle d'Inchauspee dans son livre Glucose Révolution – il est intéressant de souligner à la fois les points communs et les différences entre ces deux approches de la digestion.
1. L’ordre de consommation des aliments en Ayurveda
Selon Charaka Samhita, les différents types d’aliments sains sont classés en quatre catégories :
1. Aliments solides (ashita)
2. Boissons (peeta)
3. Aliments à lécher (leedha)
4. Aliments à mastiquer (khadita)
Ces catégories stimulent le processus de digestion et le métabolisme (agni). [Cha.Sa.Sutra Sthana 28/3]
Les aliments peuvent être divisés en deux catégories selon leurs effets naturellement bénéfiques ou nuisibles pour l’être humain :
1. Aliments bénéfiques (pathyatama)
2. Aliments nuisibles (apathyatama) [Cha.Sa.Sutra Sthana 25/37]
Les aliments les plus bénéfiques et les plus nuisibles pour l’être humain sont listés dans le chapitre respectif. Yajjah Purushiya Adhyaya [Cha.Sa.Sutra Sthana 25/38-40]
Ainsi, selon les Samhitas, l’ordre de consommation des aliments suit une logique de stimulation progressive du feu digestif (Agni) et de préparation de l’estomac à la digestion. Voici comment cet ordre est structuré :
• Durs, solides (broyables) : Ce sont les aliments qui nécessitent une mastication importante. Ils sont souvent consommés en début de repas pour stimuler la production de salive et d’enzymes digestives, facilitant le processus de digestion.
• Liquides (buvables) : Les boissons viennent ensuite pour hydrater et soutenir le processus digestif en cours, facilitant le mélange des aliments solides avec les sucs digestifs.
• Léchables : Ces aliments (chutneys, par exemple) sont introduits ensuite pour renforcer la digestion et permettre une absorption plus lente et contrôlée de certains nutriments.
• Mous (mâchables) : Ces aliments sont souvent légers, comme le riz ou autres aliments mous, et sont placés en dernier pour calmer le système digestif et favoriser une digestion complète.
L’idée est que l’ordre de consommation favorise une progression harmonieuse de la digestion, de la mastication initiale jusqu’à l’absorption et l’élimination. Cette approche est centrée sur l’optimisation d'Agni et le respect des capacités digestives du corps pour chaque type d’aliment.
2. L’approche d'Inchauspee dans “Glucose Révolution”
Inchauspee propose un autre type de séquençage des aliments dans son livre, fondé sur des considérations métaboliques modernes, notamment la gestion de la glycémie (le taux de sucre dans le sang) après un repas. Son approche vise à éviter les pics glycémiques, qui peuvent être néfastes pour la santé (surcharge pancréatique, stockage de graisses, résistance à l’insuline). Voici l’ordre qu’elle préconise :
• Légumes verts et fibres en premier : Les fibres des légumes ralentissent la digestion des autres aliments en formant une sorte de gel visqueux dans l’estomac et l’intestin. Cela crée un “tampon” qui ralentit l’absorption des sucres et réduit l’impact des glucides sur la glycémie.
• Protéines et graisses ensuite : Consommer les protéines et les graisses après les fibres permet de continuer à stabiliser la digestion, en évitant que les protéines n’entrent trop rapidement en contact avec l’acidité gastrique, tout en apportant des nutriments qui ralentissent le vidage de l’estomac.
• Glucides en dernier : En consommant les glucides à la fin du repas, leur absorption est retardée par les fibres et les protéines précédemment consommées, réduisant ainsi l’élévation rapide de la glycémie.
Cette approche repose sur des principes de répartition des aliments pour moduler la réponse glycémique et améliorer la gestion du métabolisme des sucres, ce qui est important pour la santé métabolique, la prévention du diabète de type 2, et la gestion du poids.
3. Points communs entre les deux approches
• Séquençage pour optimiser la digestion : Les deux approches mettent l’accent sur l’importance de l’ordre dans lequel les aliments sont consommés pour optimiser la digestion et la transformation des nutriments.
• Protection de l’estomac : En Ayurveda, consommer des aliments doux ou légèrement sucrés au début (comme le riz) protège la muqueuse gastrique, de manière similaire à la recommandation d'Inchauspee de manger des fibres en premier pour créer une couche protectrice avant les protéines acides.
• Soutien à la digestion progressive : Dans les deux perspectives, il s’agit d’assurer une digestion progressive et harmonieuse. En Ayurveda, cela passe par une stimulation appropriée d’Agni, tandis que pour Inchauspee, cela passe par un contrôle des pics glycémiques pour mieux réguler la libération d’énergie.
4. Différences entre les deux perspectives
Objectif principal : L’Ayurveda met l’accent sur l’équilibre de Agni et le respect des capacités digestives pour chaque type de nourriture, avec un accent sur la nature des aliments (chaud, froid, lourd, léger). Inchauspee se concentre sur la réduction de la réponse glycémique pour favoriser la stabilité du taux de sucre dans le sang, en mettant l’accent sur la gestion des effets métaboliques des glucides.
Rôle des fibres : Dans la perspective d'Inchauspee, les fibres des légumes verts jouent un rôle clé en ralentissant l’absorption des autres nutriments, ce qui est essentiel pour contrôler la glycémie. En Ayurveda, les fibres des légumes sont également appréciées pour leur capacité à nettoyer les intestins et à soutenir la digestion, mais l’approche ne se concentre pas spécifiquement sur l’effet glycémique des glucides.
Ordre des glucides : En Ayurveda, les aliments sucrés (qui peuvent inclure des glucides) sont recommandés au début du repas pour stimuler la digestion. L’accent est mis sur leur effet apaisant pour l’estomac. Inchauspee, au contraire, recommande de consommer les glucides en dernier pour éviter les pics glycémiques.
5. Synthèse et complémentarité des deux approches
Les deux approches, bien que venant de perspectives différentes (l’une plus ancienne et holistique, l’autre moderne et scientifique), partagent l’idée que l’ordre de consommation des aliments impacte directement la digestion et le métabolisme. L’Ayurveda pourrait bénéficier de l’intégration de la gestion de la glycémie, notamment dans un contexte où les troubles métaboliques comme le diabète sont courants. À l’inverse, les recommandations modernes comme celles d'Inchauspee pourraient s’inspirer de la richesse de la tradition ayurvédique pour intégrer des considérations sur l’impact des saveurs et des types d’aliments sur le feu digestif (Agni).
Ainsi, il est possible de combiner les deux approches pour optimiser à la fois la santé digestive et la santé métabolique. Par exemple, une personne pourrait commencer un repas par des légumes verts riches en fibres (comme recommandé par Inchauspee), tout en s’assurant de consommer des aliments chauds et digestes pour soutenir Agni (selon l’Ayurveda). Les glucides seraient alors consommés en petites quantités, en fin de repas, pour respecter la perspective moderne tout en maintenant un équilibre ayurvédique.
Cette complémentarité offre une approche plus intégrée de la santé digestive, où les deux traditions se rejoignent.
Pour aller plus loin
Pour bien comprendre cette analyse et faire le lien entre les perspectives ayurvédiques et la méthode préconisée par Inchauspee (la “Glucose Goddess”), il est essentiel de définir plusieurs concepts et d’expliquer comment ils interagissent entre eux.
1. Bhutagnis et leur rôle dans la digestion des sucres : En Ayurveda, la digestion ne se limite pas à l’estomac et aux intestins. Elle inclut également des processus cellulaires et tissulaires, que l’on appelle les Bhutagnis.
• Les Bhutagnis sont responsables de la transformation des cinq éléments présents dans les aliments (Terre, Eau, Feu, Air, Éther) en substances assimilables par le corps, au niveau cellulaire. On pourrait comparer ce concept au métabolisme cellulaire dans la perspective moderne, où les nutriments sont transformés et utilisés par les cellules pour produire de l’énergie.
• Lorsque les Bhutagnis fonctionnent correctement, le corps peut transformer les glucides et les sucres en énergie de manière efficace. Cependant, une défaillance des Bhutagnis entraîne une mauvaise gestion des sucres, ce qui peut se traduire par des troubles métaboliques modernes comme la résistance à l’insuline, les pics de glycémie, et même le diabète.
2. Lien entre les Bhutagnis et la santé hépatique : Les Bhutagnis, et donc le métabolisme des nutriments, sont principalement régulés par le foie. En Ayurveda, le foie est un organe clé pour la transformation des éléments et pour le maintien de la pureté du sang (Rakta). Si le foie est affaibli ou congestionné (ce qui est le cas dans de nombreuses pathologies métaboliques modernes), cela se manifeste par une mauvaise gestion des glucides et une digestion inefficace des sucres. Par conséquent, une mauvaise santé hépatique est souvent détectée lorsque les individus présentent des difficultés à métaboliser les sucres. Cela pourrait se traduire par des niveaux de glycémie irréguliers, une prise de poids ou des troubles de la digestion des glucides.
3. Rôle des saveurs amères et astringentes en Ayurveda : En Ayurveda, les saveurs amères et astringentes sont connues pour leurs propriétés détoxifiantes et stimulantes pour le foie. La saveur amère (comme celle des légumes verts, des herbes amères comme le neem ou le fenugrec) aide à purifier le foie, à stimuler la production de bile, et à faciliter la détoxification des toxines. La saveur astringente (comme celle des légumineuses, des fruits comme la grenade, et de certains légumes comme les choux) aide à resserrer les tissus et à soutenir la digestion dans le gros intestin, tout en ayant une action tonifiante sur le foie. Par conséquent, consommer des aliments riches en saveurs amères et astringentes aide à rééquilibrer les Bhutagnis et à restaurer la santé du foie, ce qui améliore indirectement la digestion des glucides.
4. Lien avec la méthode de Glucose Goddess : La méthode d'Inchauspee, qui propose de consommer des légumes verts (riches en fibres et souvent amers) avant les glucides, peut être vue comme une approche qui soutient la santé du foie et la gestion de la glycémie. L’idée de « tamponner » les glucides grâce aux fibres et aux légumes verts rejoint l’idée ayurvédique de soutenir le foie pour mieux digérer les sucres. En consommant des légumes verts en premier, on favorise une meilleure digestion globale, ce qui peut aider à rétablir un métabolisme des sucres plus sain. En Ayurveda, cette approche serait qualifiée de méthode pour réparer Agni, c’est-à-dire une manière de restaurer la capacité du corps à digérer et à métaboliser correctement les aliments, notamment en rééquilibrant les Bhutagnis affaiblis.
5. Différence entre méthode préventive et méthode réparatrice
Méthode de nutrition préventive : Une méthode de nutrition préventive vise à entretenir un Agni sain et à prévenir les déséquilibres avant qu’ils ne se manifestent. En Ayurveda, cela signifie consommer des aliments qui soutiennent Agni de manière continue, en respectant les saisons, les doshas, et en veillant à l’équilibre des six saveurs. Pour un Agni fort et équilibré, la priorité est donnée à la variété et à l’adaptation de l’alimentation, avec un ordre de consommation qui favorise une digestion harmonieuse.
Méthode de nutrition réparatrice : Une méthode de nutrition réparatrice vise à corriger les déséquilibres existants, à réparer un Agni affaibli ou irrégulier, et à restaurer la fonction du métabolisme. En Ayurveda, cela implique souvent de consommer des aliments spécifiques (comme les saveurs amères et astringentes) pour stimuler le foie et rééquilibrer les Bhutagnis.
La méthode d'Inchauspee peut être considérée comme une méthode réparatrice pour les personnes ayant un Manda Agni (un Agni faible), avec une attention particulière portée à la gestion des glucides et à la stabilisation de la glycémie. Cela s’adresse particulièrement à ceux dont le métabolisme des sucres est compromis par une mauvaise santé hépatique ou un déséquilibre des Bhutagnis.
Conclusion : convergence des approches
Les deux approches, celle de Mme Inchauspee et celle de l’Ayurveda, s’alignent sur l’idée que la gestion des glucides et la santé digestive sont profondément liées à la fonction hépatique. Inchauspee se concentre sur l’impact direct des fibres sur la gestion de la glycémie, ce qui est crucial pour les personnes avec un métabolisme des glucides affaibli. L’Ayurveda aborde le problème à un niveau plus holistique, en liant la santé du foie, les Bhutagnis, et la digestion des glucides, tout en insistant sur les saveurs spécifiques qui stimulent la détoxification et la digestion.
L’idée de distinguer une méthode préventive d’une méthode réparatrice permet de mieux comprendre quand et comment appliquer chaque approche, que ce soit pour entretenir un Agni sain ou pour réparer un Agni affaibli et soutenir un métabolisme cellulaire déficient.
En somme, il ne s’agit pas d’opposer ces approches, mais de les voir comme complémentaires, chacune apportant un éclairage utile sur la manière de soutenir la santé digestive et métabolique à différents moments et pour différentes situations.
Armanda Dos Santos