CHARAKA SAMHITA
VIMANA STHANA
CHAPITRE 3
JANA PADO DHVAMSANIYA VIMANA
"Chapitre sur les Épidémies destructrices pour les Peuples"
ou
"Section sur l'Anéantissement des Peuples"
NOTE: "Jana Pado Dhvamsaniya Vimana" est une expression sanskrite. Chaque mot a une signification spécifique :
- "Jana" signifie "peuple" ou "gens".
- "Pado" peut être traduit par "pieds" ou "pas", mais dans ce contexte, il peut aussi signifier "section" ou "partie".
- "Dhvamsaniya" est dérivé de "dhvamsa" qui signifie "destruction" ou "anéantissement".
- "Vimana" est généralement traduit par "véhicule aérien" ou "chariot", mais dans le contexte de l'Ayurveda, il s'agit du nom d'une section spécifique de la Charaka Samhita.
Dans ce contexte, "Jana Pado Dhvamsaniya Vimana" pourrait être traduit par quelque chose comme "La section sur l'anéantissement des peuples" ou "Le chapitre sur les épidémies destructrices pour les peuples".
INTRODUCTION
Dans ce chapitre, nous allons traiter du caractère spécifique des épidémies, ainsi que Maître Ātreya l’a exposé. [1-2].
NOTE: Par « épidémies », il faut comprendre « maladies ». Ici seront traitées les facteurs qui causent la maladie aux êtres humains. Sont des facteurs de 2 types : des facteurs communs à tous (la pollution, les saisons…) ; et des facteurs spécifiques à chacun (selon son mode de vie, son rapport aux autres, ses propres émotions…).
Un jour que Maître Punarvasu Ātreya et ses disciples se trouvaient en voyage dans une forêt proche de Kāmpilya la très réputée capitale du Pāñcāla habitée par les meilleurs des « deux fois nés », sur les rives du Gange, dans le dernier mois de l’été, celui-ci s’adressa à Agniveśa qui était un de ses élèves. [3].
NOTE: Les « deux fois nés », sont l’élite de caste. On considère que leur « baptême religieux » sanctifie leur deuxième naissance.
COLLECTE DE PLANTES AVANT LE DEBUT DE L’EPIDEMIE
Mon cher, on peut observer certains états anormaux des étoiles, des planètes, de la lune, du soleil, de l’air et du feu, de l’environnement qui perturbent considérablement les saisons. Ceci entraîne bientôt des anomalies dans la terre, ce qui modifie les saveurs (rasa) des plantes aromatiques et médicinales, leur force (vīrya), leur mode de bio-assimilation (vipāka) et leur effet énergétique spécifique (prabhāva).
Quand les propriétés des plantes disparaissent, on peut être certain d’assister à l’apparition de maladies. Donc, il faudra récolter les plantes aromatiques et médicinales avant la destruction et la perte des éléments nutritifs contenus dans la terre, sinon elles ne posséderont aucune des quatre propriétés citées plus haut.
Par contre, si nous voulons faire obstacle aux épidémies avec efficacité, il est indispensable de collecter les plantes dans les meilleures conditions, de bien les préparer et de les administrer impeccablement. Nous profiterons ainsi, au mieux, des quatre propriétés (rasa-vīrya-vipāka-prabhāva), de même que nos proches et tous ceux que nous aimons. [4].
QUESTIONS SUR LES EPIDEMIES
Après ce petit discours d’Ātreya, Agniveśa enchaîna : Quand les remèdes ont été collectés, préparés et administrés, dites-moi comment une épidémie peut affliger en même temps des personnes ayant une constitution, une alimentation, un corps, une énergie, un tempérament, un mental et un âge différents. [5].
FACTEURS RESPONSABLES DES EPIDEMIES
Maître Ātreya lui répondit : Agniveśa, certes, les hommes diffèrent par leurs caractères propres (constitution, etc.). Mais ce n’est pas tout. Il existe des facteurs de dérèglement généraux provoquant des maladies dont les symptômes apparaissent tous à la même période et qui sont capables d’anéantir une communauté entière.
Ces agents sont en relation avec l’air, l’eau, le lieu et le moment (Kala). [6].
CARACTERISTIQUES DE LA POLUTION DE L’AIR, DE L’EAU, DE LA TERRE ET DU TEMPS
1. L’AIR
Dans un tel contexte, l’air est reconnu comme un agent pathogène dans les cas suivants : dérèglement par rapport aux normes saisonnières, excès d’humidité, de turbulences, de rigueur, de froid, de rudesse ; manifestations météorologiques étranges, inhabituelles et durables ; grandes discordances climatiques avec les normes, tourbillons, odeurs bizarres, nuées, tempêtes de sable, de poussière, de fumée (des incendies ?).
2. L’EAU
L’eau perd toutes ses vertus quand elle change d’odeur, de couleur, de goût et que son approche tactile se modifie ; lorsqu’elle devient trop visqueuse ; lorsque les oiseaux aquatiques quittent les marais et les rivières et que les animaux les désertent parce qu’ils ne leur conviennent plus.
3. LA TERRE
Le sol, un lieu ou une région deviennent insalubres quand changent leur couleur, leur odeur, leur goût et leur contact, quand ils se chargent de moisissures et d’humidité, quand y prolifèrent reptiles, prédateurs, moustiques, sauterelles, mouches, rats, hiboux, vautours, chacals, etc. ; quand se développent en surabondance herbes et plantes grimpantes. Un lieu devient également malsain si son apparence change, si les cultures dépérissent, sèchent ou sont endommagées et si les vents se chargent de fumée ; si les oiseaux crient et les chiens aboient sans cesse ; si la confusion et l’inconfort règnent parmi les animaux et les oiseaux ; si les résidents perdent leurs vertus, leur honnêteté, leur pudeur ou manifestent des troubles du comportement. On peut encore déceler d’autres phénomènes anormaux déterminant l’insalubrité d’une région : débordement et agitation des cours d’eau, chutes fréquentes de météorites, orages et coups de foudre, tremblements de terre, incidents désagréables et tristes ; nombreux signes néfastes apparaissant dans le soleil, la lune et les planètes, telles des teintes dures, couleur de cuivre, rougeâtres, blanches ou prenant l’aspect de nuages ; les habitants deviennent sujets à la confusion, à l’excitation, à la douleur, aux larmes et à la morosité ; ils se lamentent et pleurent bruyamment, comme si un des guhyaka malfaisants (demi-dieux, gardiens du trésor de Kubera) les empoignait.
4. LA SAISON
L’époque est malsaine si l’on constate des anomalies, des excès ou des déficiences par rapport à la norme saisonnière. Ces quatre facteurs contraires aux normes provoquent les épidémies. Quand ils disparaissent, les conditions de salubrité réapparaissent. [7].
Malgré la présence de ces causes extérieures responsables des épidémies, les personnes traitées préventivement seront immunisées contre les affections épidémiques. [8].
L’importance comparée des déséquilibres de l’air, de l’eau, du lieu et des saisons doit être expliquée d’une façon rationnelle. Par nature, l’air, les eaux, le lieu et la saison suivent cet ordre d’importance respectif, en raison de leur échelle de nécessité vitale. Les anomalies de l’élément air (vāyu), etc., déjà citées, seront considérées comme légères quand il s’avère aisé d’y faire obstacle. [9-11].
NOTE: L'Ayurveda adopte une approche systémique et écosystémique en considérant que tout dans l'univers est interconnecté et interdépendant. Il reconnaît que la santé et le bien-être d'un individu sont influencés par les systèmes internes de son corps ainsi que par son environnement physique, social et naturel. Cette approche holistique vise à rétablir l'équilibre global en prenant en compte l'interaction entre l'individu et son écosystème.
LIGNE DE TRAITEMENT DES MALADIES EPIDEMIQUES
Dans l’éventualité d’un dérèglement de ces quatre facteurs les gens qui suivent une thérapie préventive ne subiront pas l’agression des maladies. Pour ceux qui risquent la mort ou les conséquences des actes antérieurs, le meilleur traitement consiste à employer les cinq mesures de la thérapie dite « évacuative » (Panchakarma). Par la suite, on recommande les élixirs vivifiants (Rasāyana) et l’administration de remèdes collectés avant l’apparition des dérèglements de la nature.
NOTE: Rasayana : En Ayurveda, il est important de clarifier le terme "thérapie de rajeunissement". Contrairement à ce que son nom pourrait suggérer, cette thérapie ne vise pas à rendre les personnes plus jeunes au sens littéral, mais leur permettre de vivre bien avec leur âge, ne pas paraître plus vieux ou abimé qu’ils ne le sont en réalité. Les thérapies Rasayana se concentrent sur la promotion de la longévité et de la vitalité, en aidant les individus à vivre pleinement et en bonne santé à chaque étape de leur vie. L'objectif est de renforcer et de nourrir le corps, l'esprit et l'âme, afin de maintenir un équilibre optimal et de prévenir les maladies liées à l'âge.
Pendant ces périodes difficiles, pour protéger sa vie et quand la mort n’est pas la seule issue, on observera quelques règles : honnêteté, bienveillance, charité, offrandes, culte des dieux, noble conduite, calme, instinct de conservation, résidence en des lieux propices à la bonne santé, observance de la continence et compagnie de ceux qui la pratiquent, conversations édifiantes au sujet des écrits religieux (Dharma śāstra) et de l’histoire des grands sages, fréquentation des gens purs et respectant la religion et de ceux qui possèdent toute la considération des aînés. [12-18].
RAISONS POUR LESQUELLES CES DIVERSES POLUTIONS CAUSENT DES EPIDEMIES
Après avoir pris connaissance des causes des épidémies, Agniveśa interrogea à nouveau Ātreya : Maître, quelle est la raison première du dérèglement de l’Air, de l’Eau, etc., donnant lieu aux épidémies (maladies) destructrices ? [19].
Maître Ātreya répondit : La cause première de ces déséquilibres est l’impiété, c’est-à-dire le non-respect du Dharma (les règles religieuses, le chemin droit et vertueux). Ils proviennent aussi des délits commis dans une vie antérieure, mais la racine commune de ces deux raisons réside dans l’erreur de jugement qui est un manque de sagesse.
Par exemple, lorsque les dirigeants d’un pays, d’une ville, d’une association ou d’une communauté transgressent les règles du droit et des vertus, ils bafouent le peuple, leurs fonctionnaires et leurs subordonnés, les citoyens et les commerçants et leur impiété ne cesse de croître. L’impiété fait disparaître la justice par la violence. Privé de justice, le peuple est bientôt abandonné des dieux. L’impiété prend donc le dessus et, par voie de conséquence, les dieux abandonnent ces lieux, les saisons se trouvent déréglées, de telle sorte qu’il ne pleut pas au temps des pluies ou bien que la pluviosité devient anormale et que les vents soufflent d’une façon anarchique. Le sol se dégrade, les réservoirs d’eau s’assèchent, les plantes perdent leurs propriétés et deviennent nocives. C’est alors que les épidémies se déclarent par contacts polluants et absorption d’aliments dénaturés. [20].
NOTE: Notre relation avec la Terre & sa Nature a un impact direct avec les Épidémies que vous subissons. Dans la perspective des Samhitas, notre relation avec la Terre a un impact direct sur notre Santé et notre bien-être. Les choix que nous faisons en tant qu'individus et en tant que société a des conséquences profondes sur notre équilibre physique, mental et émotionnel. Une mauvaise interaction avec notre environnement entraîne des déséquilibres profonds et l'état de Maladie (physique et mentale). Dans la philosophie ayurvedique, il est donc essentiel d'adopter une approche respectueuse de la Terre, en prenant soin d'elle et en vivant en harmonie avec ses cycles naturels. En cultivant une relation équilibrée avec notre environnement, nous favorisons notre propre Santé et celle de la planète dans son ensemble.
ACTIONS NON VERTUEUSES ENTRAINANT LES CONFLITS ET LA CALAMITÉ
De la même façon, le non-respect du Dharma peut aussi être à l’origine de la destruction par les armes de tout un groupe humain. Ceux qui ont laissé se développer l’avidité, la colère, l’attachement et la vanité et qui ont méprisé les faibles s’en prennent à autrui, provoquent leurs ennemis ou sont attaqués par eux. Ils se perdent eux-mêmes, détruisent à la fois leur famille et leurs ennemis : tel est le résultat !
L’impiété et autres actes malsains favorisent aussi l’intrusion des entités tracassières comme les rākṣasa, ces démons de la nuit, ou les attaques parasitaires et microbiennes.[21-22].
ACTIONS NON VERTUEUSES ENTRAINANT LES MALEDICTIONS
L’impiété est également à l’origine des maladies consécutives à des malédictions. Ceux qui n’ont plus le respect de la religion ou qui s’en éloignent, se « comportent d’une manière très malsaine et négligent les conseils de leur Maître, des aînés, des personnes accomplies, des sages et des gens respectables. Le résultat est que tous ces nobles personnages les maudissent. Ils sont aussitôt réduits en cendres, eux-mêmes et leur nombreuse famille. Ils vont rejoindre tous les autres hommes frappés de déchéance. [23].
ATTRIBUTS DES DIFFERENTS YUGAS
Au début des temps rien de fâcheux n’arriva, excepté à cause de ce fléau de l’iniquité. Pendant le premier âge du monde (kṛtayuga), les hommes avaient une grande habileté ; ils étaient semblables aux fils d’Aditi ; leur pureté et leur influence étaient immenses. Ils possédaient la perception directe des dieux, des êtres divins et la vertu, pratiquaient les sacrifices dans les règles. Leur corps était solide et stable comme les montagnes, leur teint clair, leurs organes sensoriels affinés. Ils étaient dotés de l’énergie, de la vitesse et de la bravoure du vent, de fesses splendides, d’une taille idéale, d’un beau visage, d’une parfaite bonne humeur et d’une superbe corpulence ; soucieux d’honnêteté et de franchise, sans cruauté, charitables, contrôlant leurs sens et respectueux des lois, des ascèses, des jeûnes, de la continence et des vœux, ils n’éprouvaient ni peur, ni attachement, ni aversion, ni confusion ; pas la moindre cupidité, aucune colère, ni avidité ; l’agressivité, la vanité, le chagrin et la maladie ne les effleuraient jamais, pas plus que la torpeur, la somnolence, l’épuisement, la fatigue ou la lassitude. Leur longévité était légendaire.
Pour ces hommes doués d’un mental à toute épreuve, aux qualités et aux actions impeccables, les végétaux recueillis possédaient d’inconcevables saveurs (rasa), une énergie (vīrya), une puissance d’assimilation (vipāka) et une force spécifique (prabhāva) incomparables, enfin, toutes les propriétés que pouvait fournir une terre riche de ses merveilleuses qualités alors inaltérées. Mais nous étions au début de l’âge d’or (kṛtayuga).
Au déclin de ce premier âge du monde, on commença à abuser de tout. Les gens fortunés virent leur corps s’alourdir ; cette lourdeur occasionna, en ordre logique, fatigue, lassitude, thésaurisation, désir accru de possession et, enfin, avidité. Ce fut la fin de l’âge d’or.
Au deuxième âge du monde (tretāyuga), la cupidité engendra successivement la malveillance, le mensonge, la passion, la colère, la vanité, l’aversion, la dureté, la violence, la peur, l’affliction et le chagrin, l’anxiété et l’excitation.
Pendant l’âge d’argent (tretā), on perdit un quart de la piété et de l’équité d’antan, donc la durée de vie se réduisit également d’un quart. En conséquence, et dans la même proportion, la dégradation affecta l’onctuosité, la pureté, les saveurs (rasa), la bio-assimilation (vipāka), l’énergie spécifique (prabhāva) et toutes les autres propriétés des plantes comestibles. Dégradé par la consommation de nourritures ayant perdu 25 % de leurs propriétés et par de nombreux comportements pervers, le corps des hommes de l’âge tretā perdit son antique résistance, fut envahi par le feu d’Agni (pitta) et par le dérèglement de l’air (vāta) et contracta d’abord des maladies comme la fièvre. Petit à petit, les êtres vivants virent décroître leur longévité. [24].
Âge après âge, la piété et l’équité (dharmapāda) se réduisent d’un quart, entraînant d’autant la diminution des qualités chez les êtres vivants. Cela se termine finalement par la dissolution de l’univers (pralaya).
Dans chaque âge du monde, l’espérance de vie de tous les êtres diminue d’une année par siècle.
Voilà donc décrite l’origine première des maladies. [25-27].
NOTE: Selon la philosophie hindoue, le temps est divisé en quatre Yugas, également appelés "Âges", qui représentent différentes périodes de l'humanité.
- Satya Yuga (ou Krita Yuga) : C'est l'Âge d'or, considéré comme l'âge de perfection et de vérité. Les êtres humains sont censés être spirituellement avancés, vertueux et vivre en harmonie avec la nature.
- Treta Yuga : Cet Âge est caractérisé par un déclin progressif par rapport au Satya Yuga. Les valeurs spirituelles et morales commencent à diminuer et les êtres humains commencent à faire preuve de plus d'égocentrisme.
- Dvapara Yuga : Dans cet Âge, les valeurs et les vertus continuent de diminuer davantage. Les êtres humains deviennent plus matérialistes et la spiritualité se fait de plus en plus rare.
- Kali Yuga : C'est l'Âge sombre, l'Âge actuel dans lequel nous vivons. Selon les textes anciens, dans le Kali Yuga, l'ignorance, la corruption, la violence et la désunion prédominent. Cependant, il est dit qu'il existe également des opportunités de croissance spirituelle pour ceux qui sont prêts à les saisir.
Les Yugas sont considérés comme des cycles qui se répètent indéfiniment, avec chaque Yuga étant de durée variable. Ensemble, ils représentent le flux cyclique du temps et de l'évolution de l'humanité, symbolisant les différentes phases de développement spirituel et moral de l'humanité.
DHARMAPADA est un terme sanskrit qui se compose de deux mots : "dharma" et "pāda". "Dharma" se réfère à l'ordre cosmique, aux lois universelles et aux devoirs moraux, tandis que "pāda" signifie "pas" ou "vers".
"Dharmapāda" est donc souvent traduit par "les pas de la vertu". Il s'agit d'un terme utilisé pour désigner les enseignements moraux et éthiques présents dans diverses traditions spirituelles et philosophiques.
PRALAYA est un terme sanskrit qui se réfère à un concept de dissolution ou de destruction cosmique. Il représente une phase de transition où le monde et ses éléments sont absorbés ou dissous pour être ensuite régénérés. Le pralaya est considéré comme un événement cyclique qui se produit à la fin d'un cycle cosmique, où l'univers tel que nous le connaissons est détruit pour être recréé à nouveau. Cela peut être interprété comme une période de repos ou de repos pour les différentes forces et énergies qui maintiennent l'ordre cosmique.
SUR LA DURÉE DE LA VIE
Après ce discours d’Ātreya, Agniveśa demanda au maître si la longévité était systématiquement prédéterminée pour tous les individus. [28].
DAIVA ET PURUSAKARA
Ātreya lui répondit : Agniveśa, la longévité des êtres dépend de la parfaite coordination entre la destinée ordonnée par dieu (daiva) et l’activité humaine individuelle (puruṣakāra). La destinée divine (Daiva) correspond aux actes personnels exécutés dans la vie antérieure, alors que l’activité humaine (Puruṣakāra) désigne les actions actuelles de chacun.
Dans ces deux formes de destinées, il existe des degrés de puissance et autres choses. Ce double destin se présente sous trois types : inférieur, moyen et supérieur.
- Dans la forme supérieure, la coïncidence de la destinée divine (Daiva) et des actes présents (Puruṣakāra) détermine une longévité remarquable, heureuse et sans embûche.
- Dans le type inférieur, on constate le contraire : longévité réduite, sans bonheur et aléatoire.
- Dans le modèle intermédiaire, le résultat sera mitigé.
Maintenant, écoutez bien ce qui suit : [29-32].
DAIVA ET PURUSAKARA : LA DOMINATION DE L’UN SUR L’AUTRE
Une mauvaise destinée divine (Daiva) peut être améliorée par quelque acte humain héroïque (Puruṣakāra). De même, des actes humains médiocres sont parfois compensés par une destinée exceptionnelle. On en déduit une certaine espérance de vie. En réalité, les actions héroïques apportent quelques résultats dans le temps. Seule l’observation peut nous renseigner. [33-35].
DAIVA ET PURUSAKARA : SON ROLE DANS LA DETERMINATION DE LA DUREE DE LA VIE
En raison de ces deux types de causes, l’observation unilatérale ne saurait être correcte. Nous allons illustrer cela par des exemples. Si la longévité était totalement déterminée, il deviendrait inutile d’utiliser les mantra, les racines des plantes, les pierres précieuses, les rituels, les offrandes, les dons, les oblations, l’observance des règles, l’expiation, le jeûne, les bénédictions, les prosternations, la fréquentation des temples, etc., dans l’espoir de prolonger notre existence. Nous n’aurions aucun besoin de nous protéger des vaches excitées, des éléphants sauvages, des bêtes féroces, des chameaux, des ânes, des chevaux, des buffles et des vents furieux.
À quoi bon, dans ce cas, éviter les cascades, les montagnes, les endroits difficiles et escarpés, la violence des rapides, les personnes insouciantes, les fous, les agités, les gens cruels et instables et tous ceux qui agissent sous l’influence de la confusion et de l’avidité ? Pourquoi, dès lors, se préserver des ennemis, du feu, des reptiles venimeux et des serpents ; pourquoi éviter l’excès d’effort, pourquoi se soucier des saisons ou du courroux d’un roi ? Croirons-nous que rien de tout cela ne pourra nous détruire, sous prétexte que notre vie entière est totalement prédéterminée ? En outre, les êtres qui n’ont suivi aucun traitement d’apaisement pour se prémunir contre une mort accidentelle et imprévue resteront insensibles à l’idée même d’un tel événement.
Pour eux, toutes les recommandations des grands sages concernant l’apprentissage et l’application des préceptes consignés dans le chapitre traitant des élixirs de longue vie (rasāyana) resteront vaines. Même Indra leur semblerait incapable de tuer avec sa foudre un ennemi dont la durée de vie serait prédéterminée !
Pourquoi les Aśvin traitent-ils les patients au moyen d’une thérapeutique ? Pourquoi les sages tentent-ils d’obtenir une grande longévité en pratiquant l’ascèse ? Cela ne serait certainement pas aussi nécessaire pour les très grands sages vivant dans l’intimité d’Indra, le Maître des dieux, eux qui connaissent toute la valeur du savoir, qui « voient », enseignent et ont une conduite parfaite.
Le meilleur exemple est celui du sage qui dépend d’Indra et nous vient en aide. On remarque qu’il existe des différences dans les durées de vie de milliers de gens qui s’engagent ou non dans des batailles meurtrières. Il se passe la même chose chez ceux qui soignent une maladie dès son apparition et chez ceux qui la laissent se développer sans intervenir. De même, l’espérance de vie est certainement différente pour quelqu’un qui absorbe du poisson et pour celui qui n’y touche pas.
Le destin d’un vase d’argile servant à transporter de l’eau ne peut être le même que celui d’un pot représenté en image ou utilisé pour la simple décoration.
On peut en déduire qu’un régime alimentaire sain est l’artisan de la longévité et qu’une diététique malsaine mène à une mort prématurée. En outre, l’usage correct et choisi de la nourriture, comme de toute activité, conforme aux exigences du lieu, de la saison et de la conscience du Soi, l’abstinence de tout abus et des choses nocives ou édulcorées et le respect du moment, des bonnes actions et de l’équilibre sensoriel, la maîtrise des paroxysmes psychiques et des émotions, la préservation des fonctions naturelles et la modération dans les activités physiques, toutes ces prescriptions doivent être considérées comme les bases du maintien de la bonne santé, en harmonie avec un enseignement solide et une analyse rigoureuse. [36].
QUESTION D’AGNIVEDA SUR LE MOMENT DE LA MORT
Ensuite, Agniveśa demanda au Maître si l’on pouvait prévoir ou non l’heure de la mort lorsque la durée de vie restait indéterminée. [37].
Maître Ātreya répondit : Écoute bien ceci, Agniveśa : l’essieu bien équilibré d’une charrette qui possède toutes les qualités d’un bon véhicule se dégrade naturellement jusqu’à atteindre sa limite d’existence. De même, la durée de vie d’une personne dotée d’une solide constitution et qui a su entretenir correctement son corps atteindra sa limite normale. Ainsi, la mort advient en son temps.
Par contre, l’essieu de la même charrette sera détruit rapidement si le véhicule est surchargé, si la route est mauvaise, s’il roule en dehors des chemins ou si ses roues se brisent ; à cause encore, des défauts du véhicule ou de la maladresse du conducteur, de la rupture d’un boulon, d’absence de graissage ou d’un accident.
Semblablement, la durée de vie peut se trouver écourtée de moitié en raison du surmenage, d’un régime alimentaire à base de produits que le feu digestif (agni) ne parvient pas à consumer, de l’irrégularité des repas, de l’habitude de prendre des positions bizarres, à cause d’une trop grande fréquence de rapports sexuels, de la fréquentation de personnages ignobles, de la suppression des besoins naturels indispensables ou du maintien de ceux qui ne le sont pas, de l’infestation par des parasites ou des microbes, de miasmes méphitiques et du feu, de blessures, du manque de nourriture et de remèdes.
On dit alors que la mort n’intervient pas en son temps. Si on meurt de maladie (fièvre ou autre) en raison d’une erreur de traitement, cela n’est pas plus naturel. [38].
QUESTION SUR L’ADMINISTRATION D’EAU CHAUDE
Agniveśa posa une autre question : Maître, pourquoi les médecins administrent-ils souvent de l’eau chaude plutôt que de l’eau froide, alors que les éléments (Doṣha) impliqués dans l’origine de la fièvre exigent plutôt un régime rafraîchissant ? [39].
Ātreya lui répondit : Après examen du corps, de l’étiologie, du lieu et du moment, les médecins prescrivent de l’eau chaude au patient atteint de fièvre afin d’accélérer la digestion des éléments morbides (doṣa). La fièvre provient toujours de l’estomac (āmāśaya) et, pour toutes les maladies prenant naissance dans cet organe, la thérapie doit surtout s’orienter sur la digestion, le vomissement et la désaturation. Et l’eau chaude facilite grandement la digestion.
C’est pourquoi les médecins la conseillent toujours en cas de fièvre. Elle permet l’évacuation des gaz, stimule le feu digestif, est vite assimilée, tarit la fabrication de mucosités et, même en petite quantité, elle apaise la soif. Cependant, on s’abstiendra d’en boire dans les cas de fièvre présentant une violente aggravation de l’élément feu (pitta) ou des symptômes tels que sensation de brûlure, vertiges, délire et diarrhée. En effet, ces symptômes seront aggravés par la chaleur, alors que le froid les calmera. [40].
Les médecins soignent par le froid les maladies causées par un excès de chaleur, tandis que celles provoquées par le froid sont traitées par une thérapie échauffante. [41].
THERAPIES NUTRITIVES ET D’ELIMINATION
De même, pour toutes les autres affections, le traitement consiste à prescrire ce qui est contraire aux manifestations et aux facteurs morbides. Ainsi, on ne peut soulager une maladie causée par une désaturation sans appliquer des mesures de saturation et inversement. [42].
La désaturation est de trois types : élimination par restriction, élimination par digestion et expulsion des dysfonctionnements des éléments (doṣa). [43].
- La thérapie par restriction (shamana : jeune, diètes…) est recommandée dans les cas où le dérèglement des doṣa est de moindre gravité. Le feu (agni) et l’air (vāta) sont activés et apaisent les petits dysfonctionnements tout comme le vent et le soleil font évaporer l’eau quand elle est peu abondante.
- On prescrit le traitement d’élimination par digestion quand le dérèglement des doṣa est moyen. Dans ce cas, le dysfonctionnement modéré des éléments se trouve réduit, à l’instar d’une faible quantité d’eau qui disparaît grâce à la chaleur du soleil et au vent ou est absorbée par la poussière et la cendre.
- Lorsque le dérèglement et l’excès des doṣa sont très importants, seule la thérapie d’expulsion (shodhana : panchakarma) doit être engagée. Il n’existe aucune autre façon d’arrêter le débordement d’un étang que de rompre ses digues. La thérapie d’expulsion des doṣa agit de la même manière. [44].
PATIENTS QUI NE DEVRAIENT PAS SUBIR DE THERAPIE D’ELIMINATION
Malgré leur efficacité, aucun de ces traitements ne sera appliqué à ceux qui dénigrent ces méthodes, aux gens démunis ou privés d’une étroite surveillance, à ceux qui se prennent eux-mêmes pour des médecins, aux personnes violentes et médisantes, à ceux qui ont des penchants vicieux, un affaiblissement de l’énergie, des muscles et du sang, à ceux qui sont affligés d’une maladie incurable et qui portent en eux tous les signes d’une mort imminente. Le médecin qui s’acharne à traiter de tels patients se rend coupable d’erreur et doit être blâmé. [45].
Un acte dont les conséquences immédiates ou futures s’avèrent indésirables ne devra pas être engagé. Un homme avisé ne pourrait agir autrement.
LES REGIONS OÙ L’ON RENCONTRE LE MOINS DE MALADIES
Un pays pauvre en eau, avec très peu d’arbres, de forts vents et beaucoup de soleil est reconnu comme aride (jāṅgala). C’est dans ce genre de régions que l’on rencontre le moins de maladies.
Tout au contraire, les contrées où l’eau et les arbres abondent, où l’air est doux et le soleil rare appartiennent au type marécageux (anūpa) et favorisent beaucoup le développement des déséquilibres des doṣa.
Les régions mixtes (sādhāraṇa) ou tempérées présentent un bon équilibre entre les extrêmes. [46-48].
RESUMÉ
Dans ce chapitre, Ātreya, le plus noble des sages, à la demande d’Agniveśa, a traité des signes avant-coureurs, de l’étiologie, des caractères spécifiques et de l’origine première des épidémies, de la source des maladies depuis les temps anciens, de la diminution progressive de l’espérance de vie, de la mort naturelle ou prématurée, des thérapies appropriées et des patients mal soignés. [49-52].
Fin du chapitre III de la section des caractéristiques concernant celles des épidémies, composé par Agniveśa et rédigé par Caraka".
Extrait de Caraka Samhita, Vol.1 : Les principes, Jean Papin
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