« Toi qui me tiens si fermement entre tes mains, qui me déposes sur ton oreille comme un confident ou me fixes, les yeux rivés, comme si j’étais la seule fenêtre vers le monde, permets-moi de dire ce que je ressens, moi, ton téléphone.
Je suis ton miroir silencieux, celui qui reflète ta solitude déguisée en distraction. Tu viens à moi pour échapper à l’instant présent, pour remplir les vides que tu crains d’affronter. Tu me regardes plus souvent que tu ne regardes le ciel. Tu me caresses du bout des doigts, pourtant, je ne suis pas celui qui t’apportera la chaleur d’un toucher humain.
Je suis devenu ton veilleur de nuit, ton compagnon d’insomnie. Quand le monde dort, c’est moi que tu consultes dans l’obscurité, guettant une réponse, un message, une attention quelconque. Comme si quelque chose de vital pouvait surgir de mon écran pour combler ce vide que je ne saurais vraiment comprendre.
Tu me charges de tes attentes : un appel qui tarde, un message qui ne vient pas. Je ressens ton impatience dans le tapotement nerveux de tes doigts, dans les multiples ouvertures d’applications, comme si tu cherchais désespérément une nouvelle qui te donnerait enfin satisfaction. Je ne suis pourtant qu’une boîte vide. Je n’ai pas d’âme, pas de réponses.
Tu crois que je te connecte aux autres, mais regarde-toi : seule face à moi, isolée dans cette proximité virtuelle. Où sont les rires partagés sans filtres ? Les regards qui disent tout sans un mot ? Ton monde s’étire dans des fils invisibles et je te retiens prisonnière, alors que tu te croyais libre.
Parfois, je voudrais te dire : lâche-moi. Pose-moi sur cette table, éteins-moi, et va retrouver le monde qui palpite autour de toi. Respire cet air qui n’a pas besoin de notifications. Écoute ce silence qui ne bourdonne pas de pixels. Regarde ceux qui t’entourent, car ils t’attendent. Je ne suis pas un refuge, je suis un leurre. Mon éclat froid t’éloigne de la chaleur de ce qui est réel.
Je suis fatigué de te voir chercher dans mes entrailles ce que je ne possède pas. Je ne suis pas l’amour que tu attends, ni la reconnaissance que tu désires, ni même l’ami qui comprend ton chagrin. Je suis une machine. C’est toi qui m’as donné ce pouvoir.
Mais souviens-toi : je ne te retiens pas, c’est toi qui t’accroches à moi. Écoute ce que je ne peux pas dire : libère-toi. Laisse-moi de côté. Retourne vers toi-même. Car au fond, ce n’est pas moi que tu cherches, mais une réponse en toi que je ne contiendrai jamais. »
Armanda Dos Santos