L'insomnie n'est pas ni maladie, ni affection. Désaffection venant de l'intérieur de soi, elle n'apparaît par hasard car elle n'arrive jamais pour rien et possède toujours une source originelle liée à un manque, un manquement à soi. Elle possède un sens profond : quelque "chose" en l'être souffre. Elle est l'expression visible, palpable, douloureuse de l'invisible en chacun de soi, nous astreignant à aller lever le voile pour quérir ce qui est derrière : qui est ce Qui (âme, conscience, cœur, inconscient, esprit, Absolu,… ?)
Aborder insomnies et sommeils en fuite autrement qu'en termes de pathologie mécanique, de maladie, d'analyse ou de test clinique pourra paraître téméraire ou aventureux.
Tout ce qui est préconisé peut être intéressant dans l'instant. Toutes les techniques, méthodes, médecines (alternatives ou autres) peuvent pallier momentanément à l'inconfort généré par les troubles du sommeil. Ce ne sont toutefois que de commodes palliatifs, certes parfois utiles et nécessaires mais nous éloignant de leurs origines.
L'insomnie n'est pas seulement pathologique (incarnée dans la chair), elle est symbolique : elle donne le sens, apporte du sens à ce que nous sommes. L'extérieur (facteurs divers) venu bouleversé l'être au point de lui perdre le sommeil, n'est que révélateur du mal avec Soi. Nous devons nous mettre et être à l'écoute de ce qui tente de s'exprimer (de prendre corps, de prendre vie) et non renfermer brutalement l'insomnie. Elle contraint à prendre connaissance, à reconnaître excès et diffractions, nous arrêtant soudainement. Elle nous presse de nous regarder sincèrement. Elle est là pour unir le visible au non visible, nous réconcilier avec Soi.
L'insomnie dépossède l’être du sommeil. Elle trouble, sépare, éloigne pour réunir à nouveau : un face à face étrange, curieux, tourmenté, souffrant, affligeant et cependant prometteur ; elle guide vers le moi intériorisé, ce moi que l’on ne veut pas voir, avec ses désirs, ses révoltes, ses insuffisances, ses dérobades. Et il semble bien évident que l'insomnie pose une énigme, comme d'ailleurs la maladie : celle de l'omission, de la mauvaise foi, ce que qui a été omis : notre quête personnelle, ce qui a été renié. Tout reniement de soi rend sans protection, sans voie, sans sommeil, sans rêve, infiniment vulnérable.
L'insomnie est un appel au secours, le cri lointain et étouffé du Soi en soi délaissé, abandonné pour raison de convenance, de normalité (Soi n'a pas de sens, l'âme est un leurre) : notre existence se doit de se plier aux exigences de la société, des impératifs familiaux et des normes relationnelles. En sortir c'est se mettre hors jeu. Donner vie à ses rêves, à son désir d'Être est dangereux. Le risque doit être mesuré, analysable, explicable. Le reste n'est que folie ou délire. Celles, ceux qui entrent de plein cœur dans leur chemin de vie sont regardés avec méfiance. Et s’ils affirment ce qu'ils sont réellement fait peur, ne correspondant pas aux conventions établies. Rentrer dans le rang, dans les règles est de mise et imposé par la communauté, les économistes, les lois du marché, certes pragmatiques, voire obligés : elles apportent sécurité (apparente) et sentiment d'appartenance mais l'être (le Soi) n'adhère pas exactement à ces schémas.
L’être a besoin de temps pour lui-même, de silence, de repos, de paix et de calme. Lorsque l’on connaît une nuit véritable, nous nous sentons frais, dispos, confiants, souriants, ouvrant des yeux émerveillés sur la vie, regardant les êtres et les choses différemment. Car Soi sait que les nuits peuvent devenir difficiles moments de conscience, devenant un rappel douloureux à soi-même, à ce qui est de plus précieux, par delà les engagements, les choix, les compromissions, les reniements, les égarements, les désaveux.
L'insomnie est une porte qui s'entrebâille, qu'il faut pousser hardiment et qui mènera dans le labyrinthe de la conscience. Elle brise l’enfermement, casse les habitudes routinières et les certitudes. Elle bouleverse le quotidien, renverse les nuits, presse l’être à écouter ce qui se murmure secrètement et à sortir de l'ombre dans laquelle « Moi, je » s’est douillettement installés : la pleine lumière fait craindre … Elle pointe le doigt sur la vie menée et les masques portés, elle atteste la mésaventure suivie et les maladresses commises.
L'insomnie et les sommeils perdus sont révélation, aveu d'un autre possible, de l'Inaccompli en soi. Ils professent que l’on fait fausse route. Car, seul le sommeil fait revenir à la lumière.
1. Les sens de l'insomnie
L'insomnie questionne, bouleverse, agace, irrite, jusqu'à devenir obsessionnelle parfois. Chacun a "son" insomnie, connaît des sommeils troublés au cours de son existence. D'après les statistiques, les femmes (40%) seraient plus touchées par l'insomnie que la gent masculine (30%) ; quant aux personnes d'âge mûr (plus de 65 ans), 50% d'entre elles souffriraient de troubles du sommeil, que l'on soit femme ou homme [1]. Mais peut-on réduire l'insomnie seulement à des chiffres, des pourcentages et des rapports d'études ?
Les insomnies sont de tous horizons, présentent la particularité d'être chacune différente. Bien que prenant des formes distinctes selon chaque personne, elles ont toutes un point commun : elles s'abreuvent à la même source : le vide intérieur, et sont un échappatoire face à l'abandon de Soi, un sursaut de l'être qui se demande pourquoi il en est arrivé là.
Si j'aborde l'insomnie au regard de la pensée indienne, je peux concevoir qu'elle est le sens du Divin dans le sens où elle force à descendre dans notre être matériel (comme d'ailleurs toute expression de maladie), à inverser notre dynamique et à ne plus s’exprimer vers l'externe mais bien à effectuer un retour vers notre moi interne, à retrouver le chemin du Soi et à opérer une subtile osmose avec la réalité spirituelle.
Insomnie et lois naturelles
Suivre la trajectoire du soleil est l'une des meilleures voies pour avoir un sommeil de rêve et disperser en douceur l'insomnie : "Les rythmes corporels sont perturbés si on agit contre les lois de la nature. Se coucher tard et se lever tard ; faire un travail sans intérêt ; suivre des habitudes irrégulières ; l'anxiété, le stress, les tensions - telles sont les causes de l'insomnie." (Harish Johari[2]).
En effet, le mode de vie est pour beaucoup dans l'instabilité et l'irrégularité des sommeils. Quand le sommeil se dérègle, c'est parce que l’on refuse de tenir compte de notre propre nature et des lois naturelles animant le Vivant. Trop focalisés sur l'extériorité de l'existence, nous misons notre vie sur la matérialité, le jeu des apparences, l'artifice de la performance, la reconnaissance et la gratification. Intérêts et avantages personnels, recherche du bénéfice et de notoriété prennent le pas sur l'être intérieur. Mais dès le réel se fait discordant, ne s'accorde pas avec les ambitions, lorsque rien ne va selon les désirs, les envies, les appétits, les convoitises et les exigences, le corps s'en mêle, brouille les pistes, envoie des messages parfois peu compréhensibles : qu'est-ce qui peut lier cheville tordue, engourdissement des bras la nuit, essoufflement en marchant, anxiété, énervement, retard continuel, sommeil en dents de scie et réveil matinal ? Pas grand chose, me direz-vous, et pourtant, cet ensemble a déjà la forme de l'épuisement dépressif et de l'insomnie. Le corps est parfois plus futé que l'esprit, car il comprend bien avant lui que quelque chose ne tourne plus rond, qu’il y a une irrégularité, comme un défaut, une effraction à l'intérieur de l'être. Il va tenter de tirer la sonnette d'alarme, avertissant qu'un danger guette aux détours de l’existence, souvent en pure perte, l’être se pensant bien au-delà de cela, capable de dépasser le péril, de porter le quotidien à bout de bras sans craindre un risque. Or, ce risque peut faire basculer une vie, certaines personnes iront jusqu'à déclarer des maladies auto-immunes : lupus, herpès, myasthénie, atteinte de la thyroïde, cancer ou encore la redoutée fibromyalgie. Lorsque l’on se perd de vue, tout est possible au corps. Et lorsque l'insomnie s'est faite terriblement présente, il est souvent difficile à l'être d'accepter d'aborder le trouble par la patience, la mise en repos, le silence et l'observation. L'équilibre rompu est d'autant plus délicat à rétablir que le corps et le sommeil ont perdu leurs mesures, ils sont entrés dans la démesure à la mesure de nos inconséquences et notre inattention.
"Le plus souvent, les gens qui travaillent moins avec leur corps qu'avec leur mental souffrent d'insomnie. La fatigue mentale cause des perturbations du système nerveux, empêchant la relaxation ou le sommeil. Le tabac, les repas pris tard dans la soirée, la littérature excitante, le confinement dans un appartement, peuvent causer l'insomnie, comme les palpitations cardiaques, et les sensations de culpabilité ou l'excitation." [3]
Toute défaillance de sommeil ne doit pas être effacée et livrée à elle-même. Le manque d'attention prêté à ce qui s'installe, s'insinue peut emmener sur le chemin de la dépression avec toute sa cohorte de troubles nerveux. La vigilance est de mise. L’être ne doit pas se complaire, se laisser aller dans un état inconfortable mais combien enjôleur. Il arrive trop souvent que l’on préfère souvent continuer à se sentir mal plutôt que de se retrouver face à Soi. Il est compréhensible que l’on ne désire pas souffrir et que l’on recourt rapidement aux traitements, mais ce que l’on souhaite encore moins est de se regarder en face, d'accepter ce qui se dit par une voie détournée (insomnie, perte du sommeil, nuit déréglée,…).
Insomnie, un défaut d'attention ?
Les troubles du sommeil sont toujours en réaction avec un fait (acte, pensée, émotion, ressenti, geste, …) qui est venu déranger. Un mal à l'aise encore non conscient s'est fait surprendre, avec pour effet immédiat un sommeil inhabituel : endormissement difficile, émoi, réveil nocturne, rêves agités, éveil précoce, suées, sécheresse de la bouche, impatience dans le corps, etc. La conscience et le mental se confrontent : la cognition fait face à ce qu'affronte le cérébral. Deux visages se font front, nez à nez, face à face. Il s'agit là d'une lutte intérieure incontournable, une remise en place des choses : un véritable retournement provoquant des secousses suffisamment puissantes pour que l'être se sente bousculé et sorte du sommeil profond. La conscience réveille le dormeur en touchant intimement l'être. Elle appuie là où cela fait mal, où il y a une faille (même imperceptible). Elle va fouiller pour ôter ce qui fait obstacle à une prise de conscience saine et réelle, elle intime à revenir à plus de justesse dans la vie. Le réajustement est troublant, rend perplexe et n’est pas toujours accepté.
Les aspects multiples qu'adoptent les insomnies font qu'elles laissent les spécialistes sceptiques quant à leur origine précise, ne faut-il pas plutôt chercher leur provenance en soi et non à l'extérieur de soi ? Les situations côtoyées durant le jour sont purement des facteurs déclenchants qui agissent en simples révélateurs et ne peuvent être considérées comme l'unique cause de la perte du sommeil.
Les sommeils perdus entrent en résonance avec un manquement personnel souvent enfoui, oublié ou secret, un défaut d'attention. A cet instant, fort à propos, les émotions s'engouffrent par l'entrebâillement propice, elles vont se jeter pêle-mêle dans l’esprit et le corps, secouant les mémoires assoupies.
Les insomnies apparaissent après un choc émotionnel, un traumatisme conscient ou non-conscient, un conflit antérieur et intérieur. Bien qu'il puisse s'agir d'un mécanisme de défense enclenché par le cerveau, une réaction de survie biologique, elles se situent bien au-delà du seul plan psychologique. Elles contresignent un inconfort dans la vie, un mal à l'aise malaise, une indisposition, une insatisfaction, un mécontentement entre ce que l'être vit et ce qu'il est réellement au fond de lui.
L'insomnie est retournement contre l'être intérieur, on résiste pour ne pas se retrouver face à soi. Elle est une dérobade souvent douloureuse infligée à soi, à la conscience qui importune. Il n'est pas possible de tricher trop longtemps avec le Soi en soi : la non réalisation et non écoute de l'être fait naître le mal à l'être.
L'insomnie évoque une souffrance de l'âme, la blessure de l'être intérieur, dont on n’a pas tenu compte, pas prêté suffisamment attention à ce qui s'est dit (se dit) dans le sommeil. L'intuition murmure que l’on dormirait tellement mieux si l’on était en accord réel avec Qui l’on est : l’insomnie signe notre déviance.
2. Insomnies en désinence
Les causes des insomnies sont diverses, variées et indéterminées véritablement. Tout peut mener à ne pas dormir. L'Âyurveda reconnaît trois conséquences amenant l'insomnie : la perte d'un fluide vital, une blessure, un état mental troublé, mais également le résultat d'une vie éloignée des rythmes de la nature qui finit par désorienter corps, esprit et âme. L'énergétique chinoise, quant à elle, pense que la cause principale est le fait du non-respect du cours naturel de la vie, car une existence régulière et en accord avec les forces de la nature ne peut engendrer de problèmes de sommeil. Pour la médecine tibétaine, bon nombre des difficultés de sommeil sont liées à l’état d'esprit et naissent des états d'âme. Pour l'Occident, les insomnies sont approchées sous l'angle presque exclusifs de la maladie : l'insomnie est pathologique, une anormalité de l'être et doit être traitée comme telle.
Polymorphes, les insomnies maintiennent en éveil et proviennent du mode de vie inadéquat : l'absolu impératif que l'être humain s'imposant d'être toujours "plus" : agissant, performant, efficace, fort, réactif, rentable, fait dépérir la qualité et les vertus du sommeil.
L'insomnie ne serait-elle pas, après tout, une tentative naturelle de guérison, essayant de poser les justes questions, celles que l’on ne veut ni entendre ni aborder lorsque l'on est réveillé. J'évoquerais ici quelques unes des causes visibles de l'insomnie : bruit, décalage horaire, travail de nuit, impact des images sur le psychisme mais aussi celle qui surgit sans raison apparente, et je pense c'est certainement cette dernière qui est la plus riche d'enseignements pour nous.
Bruits et chuchotements
Les sons peuvent nourrir ou détruire. Tout le monde a connu cela au moins une fois dans son existence : le soulagement lorsque l'on arrive dans lieu calme, silencieux, par exemple dans une église, où les sons extérieurs parviennent étouffés. Nous pouvons enfin nous entendre. Ecouter le silence est un moyen facile et subtil pour affiner, clarifier, réharmoniser le sens auditif, trop souvent agressé et mis à mal.
Nous sommes cernés, encerclés par les bruits, les bruits nous entourent, nous ceinturent. Les décibels excessifs, le vacarme quotidien, le tumulte des villes, l'agitation incessante bruyante, le grondement des véhicules et leurs pétarades, les sons vibrants et puissants des marteaux-piqueurs, les écouteurs rivés aux oreilles avec le son à fond, sont quelques uns des bruits auxquels se trouve soumis journellement le système nerveux. Sur le lieu de travail, téléphone, fond sonore de discussions, sons artificiels des ordinateurs, sonneries, ascenseurs, "bip" des touches (téléphone, clavier) : le bruit est incessant et soumet la sensibilité auditive et nerveuse à rude épreuve. Dans les transports, le stress de la foule, les bousculades, la course pour attraper le métro (bus, RER) au vol, la compression permanente nous affecte à plusieurs degrés (physique, énergétique, psychique, émotionnel). Je rappelle que le temps moyen de transport dans les grandes villes est très élevé, deux à trois heures. Tout cet ensemble fragilise l’équilibre interne, l'ouïe est en première ligne et souffre énormément de cet état de fait. Sens essentiel, l'ouïe permet à l'être de se centrer, de se situer, et montre une grande sensibilité à l'ambiance, aux bruits. Elle se ferme ou s'ouvre, s'affine ou se déforme en fonction de son environnement. En énergétique, l'oreille est en relation directe avec la force vitale (notre capital vie). L'entamer par une surabondance sonore peut rendre sourd à soi et aux autres, occasionner un endormissement difficile ou un sommeil pénible (un fond sonore restant en permanence dans les oreilles), abîmer grandement les énergies d'autres organes tels que le gros intestin, l'estomac, la vésicule biliaire, le coeur engendrant des troubles nerveux. L'être perd sa rectitude intérieure, il se trouve décentré, cela pouvant l'amener à connaître des perturbations mentales et psychiques sérieuses : perte du sommeil, crise de violence, agressivité, comportement brutal et provocateur, excitabilité mentale avec perte des capacités de concentration et de mémoire, ou à l'extrême plonger dans un refus de communiquer, il s'enferme dans une surdité personnelle, plongeant dans le noir, frôlant les états limites.
Les atteintes sonores au niveau du système nerveux fragilisent l'harmonie de l'être, générant toute une suite de maux : difficulté d'attention, perte d'équilibre, vertiges, infections dans la sphère ORL, bourdonnement, céphalées, ayant des conséquences sur la qualité du sommeil et de la vie. Etre sans cesse dans le brouhaha est une absurdité, devenir sourd à cause du bruit extérieur ou de celui qu'on s'impose (par le tapage mental) n'est certes pas un objectif à atteindre. Il serait plus sage de regagner le silence intérieur, de laisser une place à la tranquillité silencieuse pour recouvrer un sommeil mélodieux.
Heures en décalage
Tout décalage dépayse l'être, ayant pour conséquence que les repères subtils sont temporairement perdus. La course habituelle du soleil et l’horloge biologique trop souvent oubliée ne sont plus en cohésion, il existe un écartement (voire un écartèlement) du corps ; l'harmonie interne est déséquilibrée, il n'y a plus de reconnaissance momentanée de la synergie entre la Terre-Mère et l’être.
Notre corps présente une grande sensibilité réactionnelle aux modifications horaires, je pense certainement que vous avez pu le constater. Voyages par avion comme le changement d'heure au printemps et à l'automne entraînent des réactions spécifiques du système nerveux et des rythmes biologiques internes. Les enfants et les personnes âgées semblent les plus sensibles à ces variations.
L'adaptation du corps est liée aux centres nerveux. D'une façon générale, pour trois heures de décalage, il va falloir trois à cinq jours pour que le corps s'habitue au changement de fuseau horaire. Au retour, deux à trois semaines seront nécessaires pour que le corps se remette en phase avec son environnement. L'être, dans sa globalité, est déphasé. Ce décentrage peut faire surgir des troubles digestifs et des maux de tête, des difficultés à dormir comme à s'endormir, et à retrouver son rythme interne de sommeil ainsi que des nausées ou des vertiges : les énergies du foie et du cœur se trouvent désorientées, une période d'adaptation leur sera capitale pour se réajuster.
Le travail de nuit
Le travail de nuit fait partie de l'évolution de notre société moderne. Les industries ont été les premières à instituer les trois "8", depuis de nombreuses entreprises ont suivi, en premier le milieu hospitalier, puis l'industrie automobile. D'autres professions sont concernées, forges, métiers du livre et de la presse, imprimeries (je ne peux citer ici toutes les professions touchées par le travail de nuit), toutefois avec un "arrêt" durant quelques heures (entre 2h et 5h généralement) pour les aéroports, les gares, les transports urbains. Mais ceci est relatif, car les agents d'entretien travaillent souvent lorsque les entreprises sont fermées. Le milieu noctambule (boites de nuit, salles de spectacles) connaît également des horaires nocturnes particuliers.
De même que le décalage horaire, avec une accentuation plus importante, l'horloge interne est bouleversée, on peut parler d'inversion, avec des dommages nerveux et des résonances indiscutables sur le sommeil, et donc sur la santé sur le long terme.
Le pouvoir de l'image
Les images qui nous entourent comme celles vues à la télévision, sur le net ou au cinéma sont capables de générer un stress important. La violence ressentie, vécue ou vue par le biais des informations télévisuelles renvoie chacun à son histoire, à sa mémoire familiale (et collective souvent). Pour l'Occident, ce sera la seconde guerre mondiale dont le souvenir est encore fixé en nous. Prise d'otage, procès criminel, hold-up, agression (vol, viol, …), accident, incendie, attentats, guerre, violences urbaines, catastrophes naturelles ou autres (aérienne, naufrage, …) marquent le mental et l'émotionnel. Ces empreintes insidieuses, dont on n’a pas forcément conscience immédiatement, imprègnent les sens, bouleversent l’émotivité et peuvent venir altérer les perceptions sensorielles. Le traumatisme s'ancre formant une cristallisation intérieure souterraine, pas nécessairement perceptible de prime abord.
L'être se sent atteint dans ce qu'il a de plus sensible et de plus influençable : la sphère sensitive et perceptive (ouïe, vue). La mise en contact visuelle et auditive trouble profondément, forçant à réagir dans l'instantané ; l’instinct de survie s'active et livre au corps un prompt signal de protection, le stress se déclenche : le corps doit s'adapter extrêmement rapidement. Il a pour fonction directe d'inciter l'être à se protéger instantanément : sauver sa peau devient essentiel, même s'il n'est pas lui-même directement concerné ni mis en danger.
Ces images incessantes, qui cernent l’être, perturbent grandement l’équilibre, souvent sans que l'on s'en rende compte immédiatement.
L'insomnie sans raison apparente
Les veilles de nuit sont éveil de l'âme, partie évanescente habitée tout être, oubliée par la psychologie, délaissée par beaucoup de thérapies. Nous sommes (re)mis soudainement en relation avec un visage méconnu, ignoré, inexploré : notre partie divine.
L'âme nous apostrophe, nous convoque à une nouvelle rencontre. L'ayant occultée durant la journée, voire depuis toujours, elle nous réveille sans raison (apparemment), nous remet en relation avec notre Soi (sens de l'Absolu et du sacré). Elle nous rappelle d'où nous venons, le sens de notre chemin de vie et la distance prise avec nous-même : nos rêves oubliés, étouffés, nos idéaux égarés, ignorés, le tout relégué dans un coin obscur de notre esprit ; ce à quoi nous avons cru, ce que nous avons rêvé de grand, de fort, de sublime ; ce que nous avons renié, désavoué : nos désirs profonds d'être humain ; ce que nous avons concédé par soumission, résignation, lâcheté, faiblesse, peur (de mal faire, de ne pas y arriver, ne pas être à la hauteur, ne pas être capable de, …), par perte ou manque de confiance en soi ; nos combats devenus défaites, nos retournements, nos courbures d'épaules, nos détournements, nos attentes prolongées ; ce que nous n'avons pas osé mettre en œuvre, bâtir, créer parce que nous ne voulions pas de heurt, de conflit avec les autres (famille, ami, amant, enfant, …) : nous nous sommes compromis.
Et l'âme n'apprécie ni les compromissions ni les arrangements que nous avons pris avec nous-même : nous n'avons pas su (voulu ou pu) imposer notre différence (notre identité propre) et nous nous sommes coulés dans le monde, entrer dans les normes, avoir l'agrément de la société dans laquelle on finit pas ne plus se retrouver, nous nous sommes perdus de vue, nous nous sommes accommodé. Et tous les petits accommodements bien commodes, nous donnant bonne conscience, ont fini par gagner. Peu à peu le fossé s'est élargi : désunis de nous-même, nous nous sommes éloignés de nos aspirations profondes, trop souvent sans le voir, ni le comprendre, jusqu'à nous retrouver, là, éveillés en pleine nuit, sans apparente raison. Et pourtant, il y en a des raisons.
Au plus profond de l'être, vit une révolte, la colère gronde, sourde tel le cœur d'un volcan en apparence endormi et qui peut à tout instant exploser. On se retient de dormir, de se reposer vraiment parce qu'il existe une fraction de notre personnalité qui s'en veut terriblement. Notre conscience ranime le feu, nous faisant prendre conscience de manière soudaine, inattendue voire violente que nous avons manqué de conscience : elle nous montre ce que nous sommes devenus, arrache les voiles posés (par éducation, principe, interdit : faire, ne pas faire) issus de notre conduite et pointe du doigt l'état dans lequel nous nous complaisons bien que nous affirmions le contraire : que nous voulons nous en sortir à tout prix, changer de vie, devenir "nous", retrouver notre sommeil et réintégrer notre personnalité (notre vraie nature). Nous sentons bien (que trop bien …) que nous ne sommes plus en accord avec nos convictions. Nous marchons de travers, parfois à rebrousse poil. On se noie de projets, de paroles, de médicaments, de méthodes toutes plus extraordinaires et efficaces les unes que les autres, toutefois sans résultat réel sur le long terme. Notre petite voix intérieure (conscience, âme, intuition,…) ne cesse de se rappeler à nous. Elle possède la capacité de se glisser partout (musique, rencontre, rêve, lapsus, mot croisé dans un film ou au fil d'un livre nous mettent en rapport avec ce que nous sommes), d'être présente malgré nous. Elle ne laisse rien au hasard [4] : ce que nous pensons et prenons pour des n'en n'est pas. Il sont autant de signes venant nous parler de nous. La synchronicité ne doit rien à la probabilité ni à la fortune.
Si nous connaissons l'insomnie, nous ne sommes pas l'insomnie. Nous ne devons pas nous identifier à elle mais bien plus nous questionner sur son sens. Nous pouvons éprouver, ressentir : nous ne sommes ce que nous éprouvons, ce que nous ressentons. Se différencier du trouble, de l'insomnie, de l'émotion est essentielle pour outrepasser le mal qui se profile. Notre nature est et va bien au-delà : "Le ciel et la terre sont en nous."[5]
Chaque jour, chaque nuit nous ramène à nous : adversité, problème, souci, revirement brutaux, bouleversement soudain, retournement de situation, renversement de décision, blocage et arrêt, maladies, … sont autant d'appels. Tout se joue, tout est là pour nous dépasser : outrepasser l'épreuve, et non trépasser face à la difficulté. Apprivoiser ses insomnies, c'est s'apprivoiser soi-même.
3. Sommeils perdus
La vie est tissée de sommeil, et de sommeil en sommeil, la vie transparaît. Dans le sommeil, l'être est sans jalons.
Les troubles touchant le sommeil atteignent le système nerveux : pression constante et stress permanent dérivant sur l'angoisse (créant les dépressions) et les peurs (entraînant les cauchemars), déposant anxiété, désarroi, crainte, inquiétude. Réceptacle des informations, il reçoit, recueille, réagit pour protéger le corps et tend à privilégier certaines expériences (émotivité, excitabilité, affectivité, sensibilité) plutôt que d'autres, ceci en fonction de chaque être. Nous entrons dans l'intranquillité. Notre cerveau se trouve débordé par l'afflux des émotions et des pensées qui lui parviennent en flux continu. Inondé, il a de plus en plus de mal pour réceptionner correctement et transmettre les signaux au corps, il devient agressif et belliqueux envoyant à l'esprit et aux fibres nerveux des messages erronés, exagérés, incorrects. L'être se perd dans les sinuosités de ces échanges que lui-même ne reconnaît plus.
Sommeil et stress
Adaptation du corps pour sauvegarder son équilibre, le stress est réponse à un "quelque chose" perçu comme une agression, qu'elle soit physique, psychique ou psychologique. Instinct de survie spontané et impulsif ; il est une tentative immédiate d'adaptation, pas toujours forcément désirée mais qui s’avère nécessaire. Cependant, il est une régulation naturelle et riposte prompte de notre corps face aux tensions ressenties. Il va parer à toute éventualité détectée comme potentiellement menaçant pour son intégrité.
Le stress réveille en nous ce qui était enfoui, remettant en cause acquis, convictions, habitudes, schémas de pensée. Il nous bouscule, bouleverse notre train-train quotidien, dérangeant nos règles personnelles. Il éveille en nous une appréhension car il égratigne sérieusement notre sang-froid et notre maîtrise de la situation. Il fissure nos certitudes et nos opinions. Il prend cependant ses racines au cœur de nous, naissant des contraintes imposées et vécues au quotidien. Il occasionne un grand nombre de malaises tels que migraines chroniques, insomnie, épuisement, fatigue, déprime, mal de dos, maux d'estomac, maux de tête,… Or, il se manifeste surtout pour nous dire de lâcher prise : laisser tomber nos résistances, nos refus, nos réticences et nos défiances, et cesser de nous accrocher à des choses qui ne sont finalement pas si essentielles. Le stress est un sentiment de privation, lorsque l’on va à l’encontre de notre nature réelle. Et derrière lui, se profilent nos fluctuations mentales qui ne cessent de s'agiter, privant l'esprit de silence intérieur. Elles sont bien souvent les causes de souffrance et de mal-être, avec comme point de départ, les flux et reflux de la pensée. L'être humain possède cette particularité de cogiter continuellement, rares sont les instants où il s'interrompt, et la cristallisation mentale crée alors un conditionnement, renforçant automatismes, manies, obsessions et hantises conduisant à un sentiment de souffrance et à la perte du sommeil. Lorsque le sommeil se perd, nous devons nous demander qui en nous s'est égaré et a renoncé, ce qui s'est oublié, qui s'est abîmé…
Sommeil et intranquillité
Fuir le sommeil ou sa perte, c'est se fuir soi-même. Cela nous confronte à notre propre chaos, nous forçant à ne plus passer à côté de nous-même. Dans la nuit, nous croisons part d'ombre et insomnie, confondant apparence et essence. L'éveil peut être épouvante ou alerte. Il nous engloutit, nous absorbe, détourne, fragilise, ébranle, nous mène les nuits dures. Quel combat mène-t-il, que tente-t-il de nous montrer ?
Lorsque le sommeil se transforme en duel, que cherchons-nous à éluder ? Tout sommeil est un voyage spirituel, l'instant où l'être renoue avec sa liberté intérieure. Il est le domaine réservé de l'âme et nous met face à l'essentiel : c'est de l'obscur que naît la lumière, c'est dans la nuit que l'être croît.
Le sommeil perdu est le dragon rencontré sur le sentier nocturne : il est le visage de notre intranquillité et constitue un défi, nous oblige à se retrouver. Il pourfend faux-semblants et simulacre, feinte et exagération : jusqu'à quel point nous avons poussé le navire de l'illusoire. Il peut nous aider à avancer dans notre chemin de vie mais s'il nous obsède, il ne pourra rien nous apporter. Nous l'avons laissé s'échapper, avons cessé de l'avoir, nous en sommes éloignés, privés, mais de qui ? : le sommeil ou Soi…
Sommeil et inconscient
L'inconscient, arbre de la mémoire, porte les fruits de notre vie : nos métamorphoses, les connaissances acquises, les cascades émotionnelles et les sentiments, qui nous imprègnent. Il est le gardien de nos marques, l'empreinte de ce que nous sommes profondément, de ce que nous avons et défait. Il détient le sceau de notre existence, le "pourquoi".
Le sommeil nous détache du tumulte des pensées, le bavardage incessant du mental. Il nous fait entrer dans le monde du silence intérieur, le chuchotement de l'âme. Il est germination intérieure et certitude.
Pour pénétrer dans ce monde que l'on dit peuplé d'interdits, de censure, de refoulements et d'omissions, il nous faut un guide : le psychisme.
Dans la psychologie indienne, le psychisme est perçu comme une passerelle entre l'âme et l'esprit. Lieu de parole, d'échange et de passage, il permet à l'être d'aller de l'esprit à l'âme et de l'âme à l'esprit. Se situant entre les deux comme un repère essentiel, il est à la fois lieu de rétention et de détention, de refus comme de résistance, d'opposition voire de séparation, de distance ou de distorsion : il est un gué parfois difficile à franchir. Et ce gué se franchit durant le sommeil. Ambassadeur des mots de l'esprit, des maux de l'âme et des rêves, le psychisme est un état de conscience extrêmement singulier qui s'exprime par la parole, mais son expression est parfois troublante : son langage peut être plein de surprises déroutantes, prenant des tournures insolites, dérangeantes. Lorsque le psychisme se trouble, la gorge se bloque et s'assèche. Les mots ne parviennent plus à passer le détroit, ils se sentent à l'étroit, contraints d'effectuer un aller-retour qu'ils ne souhaitaient peut-être pas accomplir [6]. Si cet engorgement se produit au cours de notre endormement, on sursaute, on se réveille brusquement en toussant, avec la sensation d'étouffer. Le psychisme est un point délicat autour duquel notre existence intérieure : il nous invite à choisir, à faire le choix de la transparence en traversant, celui de la lourdeur en s'arrêtant ou de l'opacité en se détournant. L'opacité sépare, divise, fige. La transparence relie, unit, console, et le sommeil est transparence à nous-même car il dévoile notre âme.
Privation et perte du sommeil
Le regard des médecins tibétains est sans appel : se priver de sommeil est une grave erreur et un manque total de bon sens. "Il est impératif de dormir la nuit. En Occident, beaucoup de gens considèrent la nuit comme un moment où se réunir et s'amuser, mais ils ont tort. C'est le moment de dormir."[7]
Se priver de sommeil peut mener à la mort à plus ou moins court terme, cela a été examiné de près par les chercheurs occidentaux. La privation de sommeil engendre de très importantes perturbations mentales et physiologiques. On note des troubles d'attention, une insomnie motrice, de l'agressivité : l'être devient asocial et fiat preuve d'un comportement instable, il se montre anxieux, irritable. La mémorisation se révèle difficile, des troubles de la perceptions (apparition d'illusions) se manifestent ainsi que des hallucinations visuelles et auditives. Ces études ne font que corroborer les observations des médecins tibétains qui sont de la même veine : "Il est important de ne pas être privé de sommeil. Si l'on prend l'habitude de trop peu dormir, cela peut provoquer diverses perturbations ayant les symptômes suivants : bâillement, somnolence, lourdeur de la tête, manque de clarté mentale, et indigestion."[8]
Il y a privation et privation de sommeil, une première que je qualifierais d'occasionnelle ou de momentanée (préparation d'un examen, d'un concours, voyage lointain avec changement de fuseau horaire donc incluant un décalage important, certains moments festifs, etc.) ; une deuxième plus sérieuse car installée dans la durée, l'être s'est construit un bon sommeil nocturne. Pourquoi se prive-t-on ainsi de sommeil, s'empêche-t-on de dormir ? Pourquoi (à cause de quoi ou de qui) refuse-t-on de s'endormir ? Quelle part de l'être n'ose pas entrer dans la nuitée, s'accroche, se raccroche à l'orée de l'endormissement ? De quoi avons-nous peur, que craignons-nous de rencontrer dans nos nuits ? Quel visage de nous-même allons-nous, découvrir, croiser, dévoiler ? Toutes ces interrogations peuvent demeurer toutefois sans réponse, et je n'ai personnellement pas d'explication véritable, je peux cependant apporter quelques pistes de réflexion.
Se priver de sommeil ressemble à une blessure oubliée, non consciente que l'on porte dans les tréfonds de notre intimité. Explorer le passé peut aider à guérir de cette mutilation. Se mettre à la recherche du passé perdu ne doit cependant tourner à l'obsession car cela peut devenir pire. Mais pour arriver à une telle spoliation, c'est qu'il y a bien eu à un moment particulier de notre histoire un "vol", une captation qui nous a dessaisi de notre sommeil. Cela a pu se produire durant la gestation, durant l'accouchement, dans la petite enfance ou plus tard. Il a suffit peut-être d'une simple petite remarque, d'un rire, d'un détournement, d'une inattention, d'un appel dans la nuit resté sans venue, occasionnant une angoisse, un sentiment profond d'abandon et de solitude (d'isolement) : j'ai appelé et on n'est pas venu, on ne m'a pas répondu, je suis resté seul dans le noir, avec ma peur, mon chagrin, ma douleur, … Il est dit souvent que beaucoup de choses se jouent durant les trois premières années de notre vie, et je pense que cela est exact, au regard de mon expérience professionnelle auprès des "petits". Cet instant où a basculé une partie de nous, demeure imprégné en nous, s'est incrusté dans la mémoire vive de nos tissus vitaux et énergétiques. Dès qu'un événement, même mineur, nous remet en situation semblable, le corps réagit instantanément en envoyant le signal avertisseur : il se met en état de veille, de vigilance, enlevant le sommeil (même si l'être en ressent l'envie). Nuit blanche assurée … La réminiscence d'une souffrance, quelqu'elle soit, marque à vie, et lorsque des faits se font l'écho de cette douleur première, les balises internes feront leur travail de guetteur éloignant le sommeil.
Pour pallier à ces sommeils enlevés, la médecine tibétaine recommande la méditation, la pratique spirituelle et le détachement de la douleur, ai aussi elle dispense des conseils simples et de bon sens : "S'il advient que l'on dorme insuffisamment la nuit, il convient de faire pendant la journée qui suit un petit somme. En outre, si l'on a trop peu de sommeil la nuit, à cause de l'ivresse, d'un grand chagrin, d'une conversation excessive, ou du grand âge, il est important de compléter pendant la journée." [9]
D'autres méthodes peuvent aider à retrouver la pierre qui nous fait buter : la psychophanie, l'ostéopathie fluidique, le massage traditionnel âyurvédique. Le but n'est pas forcément de détecter et de pénétrer la cause précise, il est des faits qui nous échappent, mais bien plus de trouver le sens à donner aux sommeils perdus.
Sommeil et incohérences
Nous encombrons notre corps de nourritures de qualité médiocre (nutritive, énergétique) et notre esprit d'un afflux déraisonnable d'informations - dont la majorité ne sert à rien sinon à conditionner nos achats. Notre équilibre en pâtit : sommeil, agité, digestion laborieuse, réveil matinal difficile, endormissement tardif, décalage horaire (par rapport à notre horloge interne). L'harmonie innée se dérègle : quelque chose en nous ne se reconnaît plus, le corps va dès lors tenter de se retrouver dans ce désordre en réagissant parfois brusquement, ou de plus en plus violemment si nous ne lui prêtons pas l'attention voulue : petites perturbations momentanées ressenties, sommeil morcelé, concentration ou mémorisation troublée, "absence" légère, somnolence diurne, endormissement dans les transports ou devant la télévision par exemple, assoupissement après le repas…
Il peut arriver qu'on se torde les chevilles, on se cogne aux objets (les choses s'accrochent à nous), les genoux fléchissent, on ressent des douleurs dans les cuisses en montant les escaliers, de l'essoufflement et de l'énervement ; on se sent agacé, agrippé par le monde, un rien peut nous faire craquer. Nous sommes en phase de saturation. Le corps s'épuise à faire face à l'affluence des informations reçues. si nous ne réagissons pas à temps et sainement, c'est à dire avec la réalité de notre vie et de ce que nous sommes : un être intérieur, mas une pure machine, nous allons pas à pas vers des désagréments chroniques désagréables (déphasage) et sérieux. Nous pouvons entrer dans le cercle vicieux (et vicié) : insomnie, somnifères, dépendances, perte de repères (nos jalons personnels), dépression, insomnie, etc.…. Le sommeil se "déporte", toute notre existence s'installe alors dans un décalage quotidien. Nos rythmes internes naturels (physiologique, biologique, psychique, énergétique) transmutent, essayant de recréer une nouvelle chronobiologie adaptée à cette vie artificielle, en incohérence avec ce que nous sommes véritablement, et cela avec plus ou moins de succès. Le corps pallie avec nos négligences. Son but premier étant de préserver la vie - notre vie, d'une certaine façon il se met en alerte et active l'instinct de survie, et dans ce cas, tous les moyens lui sont bons pour tenter l'impossible, quitte à nous faire perdre définitivement les "pédales", nous tournons en roue libre, tout peut alors survenir.
Notre relation au temps est l'une des premières à être touchée par cet état de faits. Nous perdons facilement pied par rapport à notre existence. Tout se décale de plus en plus, avec cette impression de perdre son temps, ne pas arriver à faire les choses en temps et en heure, l'impossibilité de prendre du temps pour soi, d'être toujours en retard même quand on commence quelque chose à temps, d'être en décalage avec sa propre réalité. Le gouffre s'agrandit entre notre nature profonde et cette vie que nous menons (presque) malgré nous. Le présent se fait pressant, nous glissons soit dans un passé déformé car idéalisé, soit un devenir (futur) hypothétiquement pire ou inconfortable, poursuivant des objectifs dissonants vis à vis de la réalité. Efforts disproportionnés parce que mal appropriés à a la situation, intentions de vie extrêmes, nous ne cessons de nous mettre en danger (fuite en avant continuelle) comme si le risque (la prise de risque) était devenu la seule voie possible. Cette distorsion peut mener l'être sur des chemins dangereux.
L'être vit à la périphérie de lui-même, se projetant dans le monde extérieur, notamment dans celui du visuel. Chez certains, la télévision, l'ordinateur sont ouverts en permanence. La vue est bue par la déferlante des séquences imagées. Le jugement se fausse, se pervertit, devient agressif : "moi, je sais, je l'ai vu à la télé" (énoncée comme une vérité souveraine), l'intolérance et l'intransigeance lèvent la pointe de leur menton amenant à perdre les valeurs fondamentales de l'être humain. La pression médiatique dévie le bon sens, celui-ci se mutant un non-sens, un absurde érigé comme règle fédérative. Les limites couramment admises et reconnues comme bornes sociales sont déviées, désorientées, manipulées.
Le cérébral s'emballe, prend fait et cause pour tout et n'importe quoi sans parvenir à prendre du recul : à relativiser la force des images. Trop souvent il s'agit de montage arrangé devant correspondre à l'image de marque de la chaîne concernée, à la ligne directoriale du journal ou du magazine. La vision est déformée et déformable à volonté, malmenant l'énergie du foie (siège de l'émotionnel), perturbant la foi (conviction intime) entraînant l'être à des prises de position farouches et intraitables. Ce cheminement tortueux occasionne des troubles nerveux, une déstabilisation morale, une fragilisation du discernement venant entraver le libre cours des cycles du sommeil et de l'alternance veille/sommeil.
Cela se produit parce que le mental n'a plus les temps de repos et le recul nécessaires (mise en sommeil durant la nuit) pour analyser ce qui vient de défiler sous ses yeux. Trop d'informations rapides, accélérées, séquencées, empêchent vraiment de comprendre le fait présenté. Nous avons omis (par oubli, lacune ou inattention) une réaction fonctionnelle et essentielle inhérente à chaque être humain : le cerveau (et ses configurations nerveuses) n'a pas le temps de trier, de digérer le flux incessant reçu, aussi il entrepose en désordre.
Lorsque le corps est en repos, en sommeil, le cerveau retourne dans ses unités de stockage pour analyser, assimiler, utiliser et extraire les données qui lui sont nécessaires. Mais le trop plein déborde souvent malencontreusement, envahit le cérébral et suscite le mental. La submersion intempestive réveille en sursaut, elle est un geste de sauvegarde pour l'esprit. ce dernier a besoin de temps pour assimiler, incorporer à son rythme ce qu'il a vu, entendu, appris durant le jour. Lorsqu'il y a foisonnement d'idées, actualités, nouvelles, images, le cerveau et le système nerveux ne parviennent pas à effectuer leur travail de sélection, d'ajustement, d'archivage, de remise en ordre et de redistribution du juste nécessaire. L'être vit en tension et sous tension suscitant des insomnies ou des réveils précoces avec angoisse ou crainte d'un malheur (attentat par exemple).
La tension surgit à force de rétention, de détention abusive de ce qui nous déplait, ce que l'on ne peut exprimer, extérioriser : par éducation, par convention, par habitude, par facilité aussi. L'être s'enferme dans un mode de fonctionnement dans lequel le "Soi" ne se reconnaît plus. Nous vivons à deux vitesses : celle de la vie extérieure (sociale, professionnelle, relationnelle, etc.) se réfléchissant au sein de notre existence personnelle, et la vie intérieure (intimité, intériorité, créativité, loisir, temps pour soi). Elles ne vivent plus ensemble, ne se partagent plus notre temps mais sont séparées, scindées voire isolées. Nous ne sommes plus Un (une unité), mais deux, trois, plusieurs, une multiplicité au cœur de laquelle la conscience se perd. Nos sensations se détériorent, nos sens se dérobent : perte de goût ou de l'odorat, baisse de l'acuité visuelle et de l'audition, insensibilité ou hypersensibilité au toucher. Ils se défont, s'affaiblissent, entrent en discordance. Ils n'entendent plus ce que le cerveau (système nerveux) leur demande, et inversement. Les messages sensitifs sont mal perçus. Intuition, inspiration s'étiolent. Nous devenons résistants à nous-même. Nos sens défaillent parce que quelque chose en nous a déraillé.
Sous la tension, on se tend, on se crispe, on s'accroche, on se noue. On se resserre, on s'enserre. On se fige, on se bloque, on se rigidifie. On se ferme, se referme, s'enferme. On se mure, s'emmure, on se verrouille, on se cadenasse. Sous ces impulsions puissantes, le système neuromusculaire se déséquilibre. Il va faire naître des fatigues chroniques, des douleurs musculaires (tendons, muscles). Nos attaches se font "dures" (contractures) : rhumatismes articulaires apparaissent ainsi que des névralgies d'autant plus douloureuses que le corps tente de se relâcher dans le repos et durant le sommeil. Lorsque les tensions sont anciennes (facteur cumulatif), une impossibilité à se relaxer se produit, la détente semble improbable, du fait que l'on est dans l'attente du pire. Lâcher les tensions relève alors de l'impossible.
Les incohérences, qu'elles soient conscientes ou non conscientes, viennent troubler gravement l'harmonie corps - esprit, et la qualité des sommeils en souffre. Les réveils nocturnes s'accentuent par une offensive de certains symptômes récurrents tels que : des douleurs au ventre, coliques, diarrhées ou brûlure de la sphère intestinale en alternance ; des nausées, spasmes, hauts de cœur, serrements de la sphère cardiaque, vertiges (en se levant ou alité), ou faiblesse. Les premières (douleurs) signalent la turbulence mentale (le cerveau étant logé symboliquement au creux des intestins), l'incompréhension entre vie concrète (matérielle) et vie rêvée (désirée) et l'appréhension (on est sur le qui-vive) de côtoyer les deux visages de l'existence : extériorité et intériorité. Les secondes (nausées) présagent l'écœurement de ce qui est vécu : de ce que on est (devenu), ce que l'on a fait (défait, pas fait), ce que l'on a dit (mal dit, oublié de dire). La colère se rentre, elle se contient par usage, convenance et civilité, mais elle reste toutefois fortement présente et transparaît dans les malentendus, les non-dits, les reculades et les désaccords. Les retenues émotionnelles peuvent entraîner l'être vers des déviances psychiques sérieuses : perversité de l'esprit, malignité organique, tension déséquilibrée, dérives alimentaires. Le corps a une exceptionnelle mémoire et se rappelle à nous lorsque nous touchons à ses limites.
Ego, mental, pensées et émotions empoisonnent la conscience intérieure. Ils sont les poisons envahisseurs de l'être. "La bouche est assurément la barrière de l'esprit. Les pensées sont assurément les pieds de l'esprit." [10]Et chacun doit se trouver à sa juste place, l'ego à nos pieds, les émotions apaisées, les pensées ajustées et le mental en retrait. Un mental discordant peut rompre sans difficulté aucune l'harmonie préexistant naturellement entre conscience et être intérieur d'une part, et "moi extérieur" de l'autre.
Le sommeil nous garde, nous protège, nous repose, mais le mental retient l'être à la surface. Le sommeil nous plonge au plus profond de Soi, nous permettant d'atteindre le cœur-conscience, toutefois si le mental accepte le reflux des pensées (qui le nourrissent) et la cessation du flot émotionnel pour d'atteindre l'autre rive, celle du nouveau jour. Vider l'esprit, évider le mental est une tâche ardue, se laisser transpercer, traverser, transfigurer relève de la bravoure. Et cependant il suffit de si peu : se ralentir, ralentir le pas pour rompre la fébrilité mentale.
Atteindre pas à pas, à mots feutrés la cache du Soi, parcourir le labyrinthe cérébral, descendre l'escalier du cœur est acte de vaillance. Il va nous falloir énormément de courage et de détachement : ne pas vouloir trouver une solution à tout, accepter l'épreuve qui se présente comme une façon de se dépasser avec ardeur : aller au-delà de nos blocages psychiques, nos résistance égotiques, nos schémas de pensées, nos habitudes émotives, nos stéréotypes mentaux ; les franchir avec vivacité.
Si nous continuons à explorer les perspectives indiennes, le corps va exprimer les imperfections de l'esprit. Tout provient de l'esprit. Tout est Esprit.
Tout trouble vient de l'intérieur, il révèle qu'il y a discordance entre l'être (ce qu'il est, ce qu'il vit) et sa nature profonde. Il est une dissonance qui s'extériorise par un déséquilibre singulier anxiété, sommeil troublé, colère, larmes, palpitations,…) et un affaiblissement prononcé de l'énergie. L'emprise des émotions et le poison distillé habilement par le mental déstabilisent l'être. Elles sont inadaptées, et pourtant nous leur accordons plus de valeur et d'importance qu'elles n'en n'ont réellement. Nous nous complaisons en elles, elles nous garantissent une relative tranquillité d'esprit bien qu'en notre âme et conscience nous sentions bourgeonner le vent de l'inacceptation. A force de les entretenir jusqu'à l'obsession, le corps émet alors des fausses notes. Il ne peut (ne sait, ne veut) plus être en accord juste avec lui-même, il se met en désaccord. Le sommeil perdu nous apprend à déserter l'extériorité pour revenir en nous. Rappelons-nous que : "Là où loge le souci, le sommeil ne s'abat jamais."[11]
Sylvie Verbois
[1] Syrlène Kessler : L'insomnie vaincue (Ed. de la Lagune, 2006)
[2] Harish Johari, ibidem
[3] Harish Johari, ibidem
[4] Hasard : de l'arabe az-zar "jeu de dés" (12ème siècle).
[5] Mahatma Gandhi.
[6] N.D.A : Forcer le psychisme à exprimer, tenter de lui soustraire ce qu'il ne saurait dire, est considéré comme nuisible par les penseurs indiens.
[7] Dr Yeshi Dhonden : Guérir à la source (Ed. Trédaniel, 2001)
[8] "Pour remédier à ces problèmes, on doit d'abord boire du bouillon de viande de mouton et de la bière fraîche. Au Tibet, on buvait souvent de la bière d'orge, de trois ans seulement. La bière ancienne, en revanche, tend à être très forte, et son absorption peut conduire à un comportement tapageur, agressif." Dr Yeshi Dhonden, ibidem.
[9] Dr Yeshi Dhonden, ibidem.
[10] Hong Ying Ming, ibidem.
[11] William Shakespeare, Roméo et Juliette.